En France, on célèbre la baisse du chômage allemande. Le journaliste allemand Florian Rötzer décrypte le faux miracle allemand, qui camoufle une restructuration du marché du travail : baisse des contrats de travail à temps plein, augmentation des contrats à temps partiel ou très partiel. Moins de chômeurs officiels, plus de travailleurs pauvres et précaires.
Si on regarde les chiffres de l’agence (fédérale) pour l’emploi (AFE) de plus près, l’image qui se présente à nous est moins réjouissante.
Le nombre de chômeurs a baissé plus que prévu. Il s’élève désormais à 8,5 pour cent. Au mois de mars, 3,568 millions personnes étaient inscrites comme demandeurs d’emploi, ce sont moins de demandeurs d’emploi qu’en février et 18.000 demandeurs d’emploi de moins par rapport au mois de mars de l’année 2009.
« A cause d’une revitalisation au printemps et comme souvent en cette saison, le chômage a baissé » dixit l’AFE. En outre, le travail à temps réduit décharge « considérablement » le marché du travail.
Pendant que des économistes s’extasient devant « le miracle allemand », le patron de l’AFE, Frank-Jürgen Weise, s’exprime prudemment : « Nous ne voyons pas un retournement de tendance sur le marché de l’emploi. Nous voyons que l’évolution est une once meilleure que prévu. »
D’après les chiffres de l’agence fédérale des statistiques, le nombre des personnes actives a baissé de 0,3 pour cent, ou de 138.000, à 39,8 millions, par rapport à l’année précédente. « Par rapport au dernier pic en octobre 2008, la moyenne saisonnière des activités professionnelles et des emplois a baissé de 148.000, [ou plutôt de] 109.000 » [d'après] l’AFE. « Par rapport à l’année précédente, l’activité professionnelle a baissé de 0,2 pour cent (91.000), après une première baisse de 91.000 en janvier.
Il y avait 27,30 millions d’emplois soumis aux cotisations sociales occupés en janvier 2010, soit une baisse de 74.000 par rapport à 2009, mais cette baisse a diminué » [sic] commente l’AFE. En mars, il y aurait eu plus d’entrées que de sorties au marché de l’emploi.
Ces chiffres sont déjà une indication qu’il serait un peu tôt [pour se réjouir de] la relance de l’emploi au printemps, de la stabilité du marché du travail et du « miracle allemand ». Non seulement les mesures du travail à temps réduit prennent fin dans beaucoup d’entreprises, mais la baisse du chômage est plus que compensée par une baisse d’activité professionnelle.
En outre, le nombre d’emplois à temps très partiel a monté, le nombre d’emplois à temps partiel soumis aux cotisations sociales a monté de 250.000 et le nombre d’emplois à temps plein a baissé d’environ 320.000.
Il s’opère donc une restructuration du marché de l’emploi où, par rapport aux chiffres absolus, la baisse des pleins temps n’est même pas compensée par la hausse des temps partiels. Le sous-emploi (1) par rapport à l’année 2009 a également augmenté de 143.000, ce qui correspond à trois pour cent (l’emploi à temps réduit non inclus), même s’il a diminué par rapport à février 2010.
Le nombre d’offres d’emploi a légèrement augmenté, ce qui est normal pour la saison. Il y avait en tout 503.000 offres d’emploi, pour 3,5 millions demandeurs d’emploi. (2) C’est un pour cent d’offres d’emploi en moins qu’en 2009. 57 pour cent des offres d’emplois sont des jobs « normaux » c’est à dire soumis aux cotisations sociales (3). Il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres offres d’emplois qu’à l’AFE.
Complément d’informations, par Stephan Meinhardt
Voici les titres de quelques journaux allemands :
“Le taux de chômage baisse étonnamment
[...] Des experts parlent d’un « miracle allemand ».” (Die Welt)
“Moins de chômeurs au début du printemps” (Badische Zeitung)
“Le bilan des statistiques cache beaucoup de chômeurs” (Frankfurter Allgemeine)
La Radio Münster donne le complément d’informations suivant (« Neues aus der sozialen Hängematte » – Des nouvelles de l’assistanat) :
“En mars 2010, 6,18 millions personnes ont reçu ALG2 (4), ce sont 160.000 de plus qu’en 2008.
En mars 2010, 1,57 millions personnes étaient dans une mesure organisée par l’AFE (formation, stage, job à 1 euro…), ce sont six pour cent de moins qu’en 2009.”
Pour préciser, toujours en mars 2010, l’Allemagne a 1,3 million de bénéficiaires de l’ALG1 (l’allocation de chômage « normale »), 5 millions allocataires d’ALG2 (travaillant ou non), 395.000 demandeurs d’emploi qui ne touchent rien et 890.000 salariés [à temps] partiel. On peut donc affirmer qu’il y a 6,7 millions personnes qui cherchent un travail soumis aux cotisations sociales et duquel on peut vivre. Pour les 6,7 millions personnes qui cherchent un travail digne de ce nom, il y a donc 57 pour cent de 503.000 offres d’emploi, ce qui fait 286.710 (un peu plus, car il y a aussi des offres en dehors de l’AFE).
L’institut allemand de la recherche en économie (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung – DIW) constate dans son rapport n° 7 de 2010 que la pauvreté en Allemagne, en 2008, a significativement augmenté durant les dix années précédentes. Il y a actuellement 11,5 millions de pauvres (5) en Allemagne, 14 pour cent de l’ensemble de la population, ou une personne sur sept.
Les médias français qui admirent la « baisse du chômage en Allemagne » admirent-ils également la précarisation et la paupérisation de celles et ceux qui travaillent ?
Notes :
(1) L’ Organisation internationale du travail définit le sous-emploi quand trois conditions sont remplies (définition statistique) : 1/ On a travaillé moins que la durée normale de travail 2/ La diminution du travail a été involontaire 3/ On a cherché du travail complémentaire pendant la période de référence.
(2) Ce ne sont, comme en France, que les demandeurs d’emploi dans LA statistique officielle des demandeurs d’emploi. Il y a un grand nombre de demandeurs d’emplois qui ne figurent pas dans les statistiques, comme une personne qui travaille une heure par mois, tous ceux qui font un stage ou une « formation » à l’AFE (rédaction d’une lettre de motivation, etc.), ceux qui sont malades, ceux qui travaillent à temps partiel ou très partiel et qui cherchent un travail à temps plein, etc.
(3) …Et à plein temps ? Ce n’est pas précisé. (NDT)
(4) ALG2 est l’allocation de fin de droit en Allemagne (Arbeitslosengeld 2), ALG1 est l’allocation de chômage « normale ».
(5) Pauvre = [disposant de] moins de 60% du revenu médian.
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Version originale en allemand : Telepolis
Traduction française : Stephan Meinhardt pour Les dessous de l’Allemagne (reprise par Marianne2)